Kirill Antik: «Le micro-réalisme est une chirurgie dans le monde de l’art»

31 / 05 / 2025 Équipe iNKPPL
Kirill Antik: «Le micro-réalisme est une chirurgie dans le monde de l’art»

Kirill Antik — artiste-tatoueur dont les portraits microscopiques et les lignes d’une précision joaillière sont célèbres en Russie, en Allemagne, en France et aux Émirats arabes unis. Il a été l’un des premiers à introduire des accents dorés dans le micro-réalisme et a prouvé que des œuvres très détaillées pouvaient cicatriser aussi « proprement » que les pièces classiques. Dans cette interview exclusive pour iNKPPL, Kirill raconte la révolte qui l’a conduit au tatouage, les règles qui lui permettent de remplir un dos en une seule séance de dix heures, et pourquoi il cherche désormais l’inspiration non pas sur les réseaux sociaux, mais en lui-même.


Comment es-tu arrivé au tatouage et qu’est-ce qui t’a poussé à choisir précisément cette voie ?

— Je suis probablement venu au tatouage par esprit de protestation contre la société. Dans ma jeunesse j’écoutais du punk-rock et d’autres genres « extrêmes » de musique lourde. Le choix de profession s’est donc porté sur une forme d’art visuel tout aussi contestataire, qui m’inspirait. À l’époque, ce n’était pas un pas pleinement conscient : j’ai pris ma décision assez tôt et sans soutien de la génération précédente. Plus tard, en mûrissant, j’ai compris ce que tout cela signifiait pour moi. Je suis entré dans le métier seul, sans mentor, et j’ai parcouru un long chemin qu’il serait aujourd’hui possible de raccourcir. Bien sûr, en cours de route, j’ai suivi des master-classes auprès d’artistes réputés — cela me faisait gagner du temps vers mon objectif.

Tatouage sur la tête – maître Kirill Antik

Tatouage sur la tête – maître Kirill Antik

Quels courants artistiques ou influences culturelles ont façonné ton style en micro-réalisme et fine-line ?

— Je pense que le fine-line et le micro-réalisme naissent avant tout du caractère de l’artiste, plus que d’influences extérieures. Déjà après seulement deux ans de pratique, des tatoueurs avec vingt ans d’expérience étaient étonnés de mes lignes. Même chose quand j’ai commencé à « pousser » les détails en micro-réalisme : les gens observaient le processus presque hypnotisés. Chacun possède une prédisposition intérieure : certains tracent à la perfection le contour old-school, d’autres peuvent dessiner chaque cil sur un visage de la taille d’un ongle. Il est donc essentiel de se trouver et de se comprendre à l’intérieur des styles de tatouage.

Tatoueur Kirill Antik

Tatoueur Kirill Antik

Comment abordes-tu la création d’un tatouage afin qu’il s’harmonise avec le corps et la personnalité du client ?

— Je conçois toujours un design individuel. D’abord, j’interroge la personne : ce qu’elle souhaite voir, je demande des exemples de travaux pour saisir les nuances. Parfois nous discutons de symbolique. Ensuite, j’étudie attentivement l’anatomie de la zone – c’est la base de la future composition. Ce n’est qu’après que je choisis des références et assemble le croquis final. Ainsi j’harmonise l’idée avec le corps et la personnalité du client.

Quels thèmes ou images apparaissent le plus souvent dans tes œuvres et pourquoi te sont-ils proches ?

— Dans 90 % des cas, je pars de la demande du client – à cause de mon planning, j’ai à peine le temps de faire mes propres « envies du moment ». Mais les sujets auxquels je reviens avec plaisir : mythologie grecque, personnages de cinéma et de littérature, créatures mythiques – pégases, manticores, etc., portraits de personnes et d’animaux de compagnie. Je rêve de réaliser une série sur les contes russes et la littérature classique.

Tatoueur Kirill Antik

À quelles difficultés techniques fais-tu face en micro-réalisme et comment les surmontes-tu ?

— Le micro-réalisme est plus exigeant que le réalisme classique : il requiert bien plus de concentration et de précision, c’est une sorte de chirurgie dans le monde de l’art. Il faut imprimer le motif de façon à ce qu’après cicatrisation il suscite l’admiration, pas les mèmes. Au fil des années, j’ai développé intuitivement une approche : environ un client sur quarante revient pour une retouche – et encore, pas toujours.

Tatoueur Kirill Antik

Comment adaptes-tu ta méthode lorsque tu travailles avec des clients dans différents pays – par exemple en Allemagne, en France ou en Russie ?

— Je constitue des listes d’attente plusieurs mois à l’avance. Avant de partir, disons, en Allemagne, je contacte les personnes de la liste, je prends un acompte et j’organise le voyage. En général, cela se fait deux mois avant, pour que le client ait le temps de réunir le budget.

Quels accomplissements de ta carrière considères-tu comme les plus importants ?

— Je ne cours pas après les distinctions – c’est le processus qui compte. Mais il y a des choses dont je suis fier. J’ai été l’un des premiers à apporter des éléments dorés au micro-réalisme et j’ai vu d’autres artistes reprendre l’idée. Un autre exploit : la vitesse : un jour, nous avons rempli un dos en une séance de dix heures. Je ne prévois pas de rééditer l’expérience : c’était éprouvant pour la cliente, mais je sais que techniquement c’est possible.

Tatoueur Kirill Antik

En quoi la participation aux conventions de tatouage internationales a-t-elle influencé ton développement d’artiste ?

— Chaque nouvelle convention me motive à faire encore mieux : tu regardes tes collègues – et tu veux te surpasser.

Y a-t-il des retours de clients qui t’ont particulièrement marqué ?

— Les retours les plus forts ne sont pas sur les réseaux, mais au studio, quand la personne regarde son nouveau tatouage dans le miroir et pleure de joie (sourire). Les photos de proches, les portraits d’animaux, les lieux liés aux êtres chers – tout ce qui provoque des émotions sincères me reste en mémoire pour toujours.

Tatoueur Kirill Antik

Comment maintiens-tu un niveau élevé de qualité et de stérilité dans ton travail ?

— J’ai quatre règles simples :

  1. Tout ce qui peut être stérilisé doit l’être.

  2. Ce qui ne peut pas être stérilisé doit être à usage unique.

  3. Tout ce qui doit être rempli de couleur doit l’être complètement.

  4. Ce qui ne nécessite pas un aplat dense est appliqué de la manière la plus délicate possible.

Quelles nouvelles techniques ou approches as-tu introduites dans ta pratique ces dernières années ?

— Depuis un an, je publie presque rien – j’ai fait une pause sur les réseaux sociaux. Je prépare de nouvelles idées filtrées à travers moi-même. Dernièrement : j’ai sérieusement augmenté ma vitesse – je peux réaliser un avant-bras en micro-réalisme en 3-4 heures (parfois plus si la peau est difficile). Auparavant, cela prenait 8-10 heures.

Tatoueur Kirill Antik

Comment continues-tu d’évoluer et d’apprendre dans une industrie du tatouage qui change rapidement ?

— J’observe, j’expérimente, j’essaie des approches non conventionnelles. Aujourd’hui, je regarde plus souvent à l’intérieur de moi qu’Instagram – je cherche de nouvelles solutions.

Quels projets ou tatouages ont été les plus difficiles ou, au contraire, les plus inspirants pour toi ?

— Nous achevons une manche inspirée de Jibaro – un chantier qui a commencé en 2022. À l’époque, je manquais d’expérience avec la couleur, tandis qu’aujourd’hui tout est « rôdé » comme il faut. Il y a déjà des fragments sur Instagram, mais je n’ai pas encore montré la manche complète. Il reste une séance – ensuite nous pourrons la photographier. Ce projet est à la fois complexe et inspirant : scénario, géométrie, réalisme couleur – tout ce que j’aime.

Manche inspirée de Jibaro – tatoueur Kirill Antik

Comment établis-tu la confiance avec les clients, surtout lorsqu’il s’agit de grands projets ?

— Le plus souvent, les gens arrivent déjà en confiance – merci à vos lecteurs pour cela (sourire). Si la confiance n’est pas là, j’explique en détail chaque étape, je partage mon expérience, et la personne voit que le projet est entre de bonnes mains.

Qu’est-ce qui te procure le plus de plaisir dans ton travail ?

— Le plus grand plaisir, c’est le processus lui-même. Quand tu dessines sur la peau et que tu sens littéralement le sujet – c’est incomparable. L’huile ne « happe » pas autant, alors que la peau, oui.

Tatoueur Kirill Antik

Comment envisages-tu ton évolution – en style, en technique, peut-être dans l’enseignement ou l’ouverture de ton propre studio ?

— Première étape : peaufiner mon propre style – c’est la base. Ensuite, ouvrir un studio. Puis, peut-être, enseigner aux autres. Mais au centre, il y aura toujours le tatouage lui-même, pas le business.

Quels conseils donnerais-tu aux débutants qui entrent tout juste dans la profession ?

— Choisissez votre voie, suivez des master-classes, trouvez des mentors, pratiquez autant que possible. Analysez vos erreurs et n’en ayez pas peur.

Tatoueur Kirill Antik

Comment crées-tu un design unique pour chaque client ? As-tu un rituel ou une méthode particulière ?

— Tout commence par une conversation. Un brief écrit suffit rarement. Je pose des questions, je demande à voir des exemples afin de comprendre le caractère de la personne. Ensuite, je conçois un design pour ce caractère et je le montre impérativement au client pour m’assurer que le croquis lui parle. Il va vivre de nombreuses années avec cette œuvre – elle doit le rendre heureux.

Quelles tendances du tatouage te semblent les plus intéressantes ou prometteuses ?

— Question difficile : c’est une sorte de jeu d’argent – personne ne sait dans quelle direction la société va tourner. De nombreux facteurs influencent les tendances, et la pop-culture est le plus déterminant. Je pense que beaucoup de choses perdureront, et l’old-school pourrait devenir un nouveau récit : quelqu’un lui insufflera de la vie, car c’est un classique un peu oublié du grand public. Si l’on regarde à l’intérieur de la communauté tatouage mondiale, il est évident que le dessin « vivant » sera encore plus apprécié, car les IA génèrent déjà des images en une seconde. La tendance au côté « authentique » va s’intensifier, et les artistes avec une base académique seront plus demandés que les « bébés IA » (sourire). Alors, les amis, apprenez vos fondamentaux – et tout ira bien !

Tatoueur Kirill Antik

Comment trouves-tu l’équilibre entre les commandes commerciales et les expérimentations créatives ?

J’essaie de combiner les deux : j’élève les projets commerciaux au niveau des expériences créatives. Ces dernières années, je le fais moins souvent : si un client demande un « loup viking », j’exécute le travail, mais je le publie moins. Je prévois de sortir une série de croquis pour ceux que l’image du loup a déjà lassés (sourire). Je me tourne de plus en plus vers des projets au long cours et je prends moins de commandes « à la chaîne » – je suis fatigué de « piquer tout et n’importe quoi » et je me concentre sur le développement de mon propre style.

Texte Équipe iNKPPL

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